AVANT-PROJET DE LOI MODÈLE OHADAC RELATIVE AU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Article 63

Détermination de la loi étrangère.

1. Les tribunaux et autorités caribéennes appliquent d'office les règles de conflit du présent titre et celles stipulées dans les traités internationaux auxquels la Caraïbe est partie.

2. Les tribunaux mettent en œuvre la loi désignée par les règles de conflit mentionnées au paragraphe précédent. À cette fin, le juge peut recourir :

  1. aux moyens indiqués par les conventions internationales :
  2. aux opinions des experts du pays dont il convient d'appliquer la loi :
  3. aux avis des institutions spécialisées en droit comparé :
  4. à tout autre document qui établit la teneur, la positivité et l'applicabilité au cas d'espèce de ladite loi.

3. Si, même avec le concours des parties, le juge ne parvient pas à établir la loi étrangère désignée, il applique la loi que déterminent les autres critères de rattachement éventuellement prévus pour la même hypothèse normative. À défaut, la loi caribéenne s'applique.

368. Les règles de conflit, contenues dans la section I du chapitre I du titre III de la présente loi et dans les traités internationaux auxquels la Caraïbe est partie, sont considérées comme étant obligatoires et impératives, et seront d'office appliquées par l'interprète450.

Toute cette matière prend pour référence un postulat de base : la règle de conflit est obligatoire pour le juge, puisque il fait partie du droit positif du for qui, à son tour, doit appliquer la règle matérielle étrangère à laquelle il renvoie. Par conséquent, les indications du présent article sont impératives pour lui. La posture inverse consisterait à attribuer aux règles de conflit une double caractéristique : un caractère impératif quand elle désigne la loi du for et un caractère purement dispositif (fakultatives kollissionsrecht) dans les cas où elle renvoie au droit étranger451. Dans une telle situation, si le juge du for n'applique pas d'office la règle de conflit de son ordonnancement, il laisserait à la simple volonté des parties ou à leur inexpérience ou mauvaise foi, la détermination de la loi applicable. Cela équivaudrait à une interprétation excessive de la fonction de la volonté des parties en DIPr, surtout dans les domaines d'application impérative452. En outre, la configuration facultative des règles de conflit, contrairement au principe basique de l'équité, conduirait à l'absurde car des situations identiques seraient solutionnées de façon différente dans le même État, voire dans le même tribunal, selon que les parties auront ou non déclaré, de bonne ou mauvaise foi, l'application du droit étranger applicable.

Le libellé du paragraphe 1 du présent article présente un avantage technique évident : il ne laisse pas l'application de la règle de conflit du droit du for à la merci des parties, ou de l'une des parties, qui souhaiteraient ou non se prévaloir à leur guise du droit étranger. En reconnaissant la nature de ius cogens aux règles de conflit, si le juge qui examine les faits de l'espèce relève l'existence d'un élément d'extranéité, il sera obligé de l'appliquer même si cela renvoie à un droit matériel étranger.

Ce choix s'ajuste au droit comparé453, avec le code Bustamante dont l'article 408 impose, le cas échéant, aux juges d'appliquer d'office les lois des autres pays, conformément aux dispositions de la Convention interaméricaine sur les règles générales de DIPr de 1979 (article 2).

369. Deux questions procédurales mettent en cause indirectement, toutefois, l'impérativité de la règle de conflit454 prévue au paragraphe 1 du présent article :

  1. Si les parties ne révèlent pas, voire même, dissimulent l'élément d'extranéité justifiant la mise en œuvre de la règle de conflit, dans ce cas, le principe dispositif empêchera le juge de rechercher et d'établir ces éléments de fait. Cependant, si le juge apprécie d'office qu'il existe des éléments d'extranéité susceptibles d'entraver la clarté et la précision de la demande, il devra le signaler dès le commencement de la procédure.
  2. Si un régime procédural de droit étranger est maintenu, l'impérativité de la règle de conflit s'en verra affectée alors que l'application du droit étranger n'est pas demandée par les parties, et que sa pertinence n'est pas démontrée. Dans ce cas, la loi caribéenne devra s'appliquer (paragraphe 3). L'impérativité de la règle de conflit peut impliquer de facto une solution identique en renvoyant au droit du for. Ainsi, si la règle de conflit désigne un droit étranger, les règles de procédure doivent permettre de choisir entre le droit étranger et le droit du for455.

Sur le fond de la demande d'interprétation des règles de conflit, la lex fori456 présente une vocation générale, comme l'a expliqué la jurisprudence française dans l'affaire Bisbal. La règle de conflit acquiert une nature et une portée diverse selon que le point de rattachement amène à l'application de la loi du for ou d'une loi étrangère. La règle de conflit s'avère obligatoire si elle soumet la solution du cas d'espèce à la loi du for, tout en conservant un caractère simplement dispositif si la loi étrangère est retenue. Le « legeforismo » de cette solution est difficilement applicable sur le plan rationnel. Si le législateur prévoit l'application d'une loi étrangère à un cas concret, c'est indéniablement parce que cela lui parait plus approprié. Penser que la solution la plus juste se trouve dans l'application de la loi du for n'est pas justifié, outre le fait que cela s'avèrera moins coûteux, plus facile pour le juge et éventuellement favorable à l'intérêt des parties aux litiges. Une telle position omet totalement les intérêts des tiers dans le commerce international ainsi que le maintien d'une conception de la justice et de l'harmonie internationale des solutions propres aux États.

370. Le paragraphe second du présent article se réfère à la « conséquence de la règle de conflit » et peut être résumé par l'alternative suivante : application par le juge ou par l'autorité soit de la loi du for soit d'une loi étrangère. Bien que, en principe, ces deux options semblent placées sur un plan d'égalité, le processus d'application pratique de la règle de conflit conduit à maximiser les possibilités d'application de la loi du for. Malgré tout, le fait que la localisation renvoie au droit du for ne signifie pas que la situation de droit international privé sera traitée exactement de la même manière que s'il s'agissait une situation de droit interne. Comme en dispose l'article 64, l'interprète doit appliquer la lex fori au regard des circonstances spécifiques que l'élément international introduit.

L'application du droit étranger dans le for se situe dans la dernière phase de la méthode d'attribution et implique que le processus projetant de suivre la règlementation contenue dans la règle de conflit n'ait pas été dénaturé. Or, une telle application se heurte à une contradiction fondamentale entre le système du for et le système étranger car les deux sont des ordonnancements juridiques disposant d'une procédure différente. La règle iura novit curia n'intervient pas, en principe, pour le droit étranger. Cependant, le droit étranger ne peut pas être réduit dans une procédure à un simple fait, quelles que soient les hypothèses. Les faits, même une fois prouvés, continuent d'être des faits. Toutefois, le droit étranger dûment prouvé devient dès lors un véritable droit qui va être appliqué par le juge pour trancher le litige. De plus, le droit étranger a une place particulière dans la procédure car il apparait comme un tertium genus entre le droit et les faits. Sa nature devant être garantie dans le cadre du procès, il doit être traité dans la procédure de façon spécifique en l'assimilant dans la procédure à des faits et, à d'autres occasions, à des règles juridiques nationales. Le paragraphe 2 du présent article confirme ce caractère procédural hybride donné au droit étranger car il se réfère à la nécessité de prouver le droit étranger ce qui démontre qu'il ne s'agit pas d'un simple fait mais bien d'une véritable source de droit, bien qu'ils doivent être « aussi » prouvés.

Il est indéniable que la singularité du processus de localisation s'explique par l'éventualité d'une application du droit étranger. Cette possibilité est communément admise dans les ordonnancements juridiques, toutefois il convient de préciser que :

  1. Si la majorité des règles de conflit édictées dans la section I, du chapitre I du titre III de la présente loi emploie le terme « loi » ou le terme « droit », leur sens ne peut pas se limiter à la loi, mais concerne l'ordonnancement ou la législation au sens large. La règle de conflit renvoie au droit étranger, et en inclut toutes ses sources (Constitution, lois, règlements, coutumes, etc.) et cet ensemble normatif doit s'interpréter, tel que l'énonce l'article 64, de la même manière que le feraient les juges de l'État dont la loi est déclarée applicable.
  2. Concernant l'article 65 de la présente loi (vid. infra), il n'existe aucune limitation spéciale à l'application des règles d'un système étranger, selon leur nature « publique » ou « privée ». Le renvoi opéré par la règle de conflit se réfère au droit étranger qui doit régir la situation privée litigieuse, indépendamment de sa nature. Dans la pratique, l'application des règles matérielles étrangères de droit public revêt une véritable importance dans le domaine patrimonial des contrats internationaux et est soumis à un certain interventionnisme national. Sur ce point, la question repose sur l'application des dispositions impératives ou des règles d'ordre public économique de l'ordonnancement étranger, problème qui sera analysé dans le cadre du régime des obligations contractuelles.
  3. Il convient de différencier les cas d'application du droit étranger stricto sensu de ceux qui conduisent à « le prendre en considération » comme une simple donnée, comme un simple fait déterminant ou conditionnant l'application des règles de DIPr du for457.

371. Le droit des parties d'invoquer la loi étrangère, tel que prévu dans le présent article et tel que cela est confirmé dans l'article 64.1, n'empêche pas le juge de participer activement à la recherche du droit étranger pour son application. Toutefois, il convient d'analyser si la propre connaissance du droit étranger par le juge peut suppléer la charge de la preuve par les parties, voire même, son invocation458. Il est possible que, face à la passivité des parties, le juge mette en avant sa propre connaissance du droit étranger, à titre personnel, et il est possible, dans certains cas, que la culture juridique du juge lui permette de connaitre le contenu du droit étranger sur certaines spécificités459.

Le présent article ne vise pas à permettre au juge de suppléer la preuve du droit étranger grâce à ses propres connaissances. Le droit étranger doit être prouvé et cette preuve est à la charge, en principe, des parties. Le juge peut prendre l'initiative de recueillir les moyens de preuves suffisants pour confirmer le contenu du droit étranger, indépendamment du fait qu'il le connaisse ou non par le biais de sa connaissance subjective, toutefois il ne peut pas suppléer la preuve nécessaire du droit étranger. La prise en compte factuelle du droit étranger jusqu'au moment où il sera prouvé, requiert que, dans la procédure, il existe un principe minimum de présentation des preuves, ayant valeur de garantie constitutionnelle et qui évite que la décision du juge soit arbitraire. Pour ce faire, parmi les alternatives460, la solution adoptée dans la présente loi vise à permettre l'exercice de la fonction judiciaire grâce à une collaboration entre le juge et les parties.

372. Quant à la teneur de la preuve de la loi étrangère, l'article commenté exige « la positivité et l'applicabilité au cas d'espèce de ladite loi ». L'appréciation du degré d'intensité de la preuve revient aux juridictions. Ainsi, soit la simple citation isolée d'un article spécifique s'avère suffisante, soit il est nécessaire de fournir des moyens de preuve plus conséquents. Le principe de l'invocation par les parties doit être appliqué dans son intégralité non seulement en exigeant strictement des moyens de preuve, mais également en obtenant une certitude absolue quant à la teneur du droit étranger.

Si les parties n'invoquent pas la preuve du droit étranger ou manifestent une totale passivité sur ce point, la solution la plus adaptée sera que le juge prenne l'initiative de l'obtention de ladite preuve, sans toutefois rejeter la demande. Si les parties ont le droit d'invoquer et de prouver le droit étranger, et doivent bénéficier de la possibilité d'en débattre, cela ne signifie pas que le juge est obligé d'appliquer d'office la règle de conflit et de garantir que le litige sera tranché conformément au droit étranger allégué461. Dans ce cas, les coûts découlant de l'établissement de la preuve seront mis à la charge du demandeur passif au titre de la condamnation aux dépens, et la sanction sera proportionnelle à son défaut d'initiative.

373. L'alinéa i) du paragraphe 2 du présent article commenté, permet au juge d'avoir recours à l'assistance judiciaire internationale et, en ce sens, il est obligatoire de se référer aux articles 408 à 413 du code Bustamante de 1928 dans le champ restreint d'application et à la Convention interaméricaine sur la preuve et l'information relative au droit étranger conclue à Montevideo le 8 mai 1979, et à laquelle ont adhéré l'Espagne, l'Argentine, la Colombie, l'Équateur, le Guatemala, le Mexique, le Paraguay, le Pérou, l'Uruguay et le Venezuela. Il s'agit d'un texte international élaboré au sein de la CIDIP-II qui met en place un système de coopération internationale entre les États membres en vue de l'obtention des éléments probatoires et de l'information relative au droit de chacun de ces pays. Ces éléments probatoires comprendront « le texte, la positivité, le sens et la portée juridique de son droit » (article 2) et seront insérés parmi les « moyens idoines » (article 3) tels que : a) la preuve documentaire, qui est constituée de copies certifiées de textes légaux avec indication de leur positivité ou de la jurisprudence : b) la preuve expertale est constituée des rapports d'avocats ou d'experts dans la matière : c) et les avis de l'État requis sur le texte, la positivité, le sens et la portée légale de son droit. Les demandes devront contenir une indication précise des éléments de preuve qui sont sollicités et consigneront chacun des points auxquels se réfère la consultation, en indiquant le sens et la portée de celle-ci accompagnée d'un exposé des faits pertinents pour leur bonne compréhension. La langue de la demande sera celle de l'État requis (article 5). Elle pourra être adressée directement par les autorités judiciaires ou au travers de l'autorité centrale de l'État requérant adressée à l'autorité compétente correspondant dans l'État requis, sans nécessiter de légalisation. L'autorité centrale de chaque État partie recevra les demandes formulées par les autorités de leur État et les transmettre à l'autorité centrale de l'État requis (article 7).

374. À défaut de coopération internationale les preuves du droit étranger pourront être produites selon les modalités admises par la législation du for. Parmi celles-ci, figurent la preuve documentaire et, de façon particulière, la preuve expertale.

  1. La preuve documentaire s'avère être la plus opérationnelle, celle qui offre de meilleures garanties. Cette preuve n'est pas admissible au moyen d'actes sous seing privé ou de documents à caractère général, les collections législatives, les œuvres doctrinales, etc. Elle devra être établie par actes authentiques ou dressés par des officiers publics et susceptibles d'être produits à la procédure par des expéditions certifiés : a) par une autorité nationale habilitée à fournir cette information qui est habituellement enregistrée au Ministère de la Justice : b) par des diplomates ou des consuls de l'État du for habilités par l'État dont le droit doit s'appliquer : c) par des diplomates ou des consuls du pays en question, habilités dans l'État du for. Si ces certifications sont rapides et faciles à obtenir, elle présente toutefois l'inconvénient de ne jamais pouvoir déterminer la portée et le contenu de la règle étrangère, mais uniquement son texte littéral et, éventuellement sa positivité. Cependant, un tel inconvénient peut être corrigé en demandant l'information au pays étranger concerné ou en utilisant un réseau d'informations qui était prouvé à cet effet par l'autorité nationale en question. Cette preuve peut être suffisante en soi, dans nombre de cas, toutefois dès lors que le contenu de la règle étrangère ne requiert pas d'interprétation spéciale, la preuve documentaire sera plus que suffisante pour prouver la teneur de la réglementation.
  2. L'article commenté ici vise la possibilité de déterminer la teneur et la positivité de la législation étrangère à travers les « opinions des experts du pays dont il convient d'appliquer la loi ». Or, il ne fait aucun doute que la preuve par dire d'experts doit être traitée avec la plus grande prudence par rapport à la preuve documentaire, du fait de l'éventuelle « impartialité » de l'un des experts dont le concours a été demandé et qui est généralement rémunéré par la partie concernée. De ce fait, il faudra renforcer le contrôle de la compétence et de l'indépendance de l'expert, voire même il faudrait que le juge désigne librement l'expert au regard des garanties qu'il présente tant sur sa compétence que sur son indépendance. Quelques autres décisions se targuent, toutefois, d'une plus grande flexibilité.
  3. Enfin, la preuve est admise au travers « des avis des institutions spécialisées en droit comparé ».

375. Le traitement tactique, aux fins de la procédure, du droit étranger pose un autre problème important : si une partie invoque une loi étrangère comme un fait et que l'autre admet expressément l'existence de cette règle, sans en apporter une interprétation différente, le tribunal peut-il considérer que l'existence de cette règle est établie sur le simple fondement des « faits admis » : Une réponse positive n'est pas satisfaisante. Le juge ne peut pas construire son jugement sur une prétendue règle étrangère, seulement parce que son existence n'est pas remise en cause par la partie adverse. En outre, et dans un cas extrême, le juge va-t-il ne pas appliquer une disposition qu'il connait, à titre personnel, uniquement parce que la partie devait la prouver et qu'il ne l'a pas fait : La réponse dépend du fait que l'on puisse rechercher ex officio judicis ou que l'on suive une position plus conservatrice dans ce domaine. Si une partie prouve suffisamment l'existence, la teneur et la positivité du droit étranger, et si l'autre partie l'accepte, cette dernière est exonérée d'apporter la preuve. Toutefois et en définitive, il est exigé que la preuve soit suffisamment apportée par l'une des parties pour être considérée comme contradictoire. D'un autre côté, l'acceptation par la doctrine des faits admis permet, de facto, aux parties de transgresser les principes prévus par le législateur en matière de règle de conflit. La meilleure solution est que le juge, face à l'accord des parties sur le contenu du droit étranger, fasse valoir sa propre connaissance ou les consignes que son ordonnancement lui offre pour rechercher d'office le droit étranger. Cela pose la question générale quant à la participation du juge à la recherche du droit étranger, et la présente loi type lui ouvre cette possibilité.

376. Une fois posé le principe d'inapplicabilité d'office du droit étranger, il convient de vérifier s'il existe un mécanisme qui permet au juge de suppléer le défaut d'invocation du droit étranger ou de la preuve de son contenu par les parties. Sur ce point, le juge pourra diligenter un supplément d'information afin de connaitre le droit étranger, ce qui ne constitue en aucun cas une obligation. Toutefois, en plus, il semble que ces mesures, compte tenu de leur nature et de la localisation de la procédure, et aussi souhaitables soient-elles, ne sont pertinentes que dans la mesure où les parties ont invoqué le droit étranger sans le prouver suffisamment. Par conséquent, il faudra toujours que les parties invoquent le droit étranger pour que le juge complète voire supplée la recherche de la preuve par les parties, tout en sachant que sa tâche se limitera strictement à cela. Les mesures visant à diligenter un supplément d'information ne peuvent pas se convertir, compte tenu de leur nature, en faits qui n'auraient pas été invoqués par les parties. Il convient de souligner le caractère restrictif qui amène à une telle interprétation. Une fois que le juge a déterminé, au moyen de l'application d'office des règles de conflit, l'applicabilité d'un droit étranger pour régir le litige, il devra être habilité à mettre en marche les mécanismes de preuve de ce droit, et ce indépendamment du fait que les parties l'aient ou non invoqué.

377. Conformément au principe d'impérativité de la règle de conflit, le droit étranger qui serait invoqué par les parties ou prouvé spécifiquement devrait être, à première vue, rejeté. En se basant strictement sur ce principe, la partie qui n'invoque pas ce principe ou qui ne parvient pas à prouver suffisamment le droit étranger sera déboutée de sa demande sans pouvoir présenter une nouvelle demande fondée sur l'invocation et la preuve suffisante du droit étranger. Une telle solution serait très vraisemblablement contraire au principe de protection judiciaire effective, ce qui conduirait obligatoirement à une interprétation permettant de corriger le résultat.

Débouter une demande au motif exclusif qu'elle n'invoque ni ne prouve le droit étranger ne constitue pas une réponse sur le fond de la demande, mais une sanction de la conduite de la procédure par les parties qui semble disproportionnée et arbitraire eu égard aux conséquences imposant l'obtention d'une décision au fond. Dans tous les cas où le renvoi au droit étranger découle d'une règle de conflit d'origine conventionnelle, imposant son application d'office conformément à l'obligation internationale convenue, seul l'ordre public peut faire exception à l'application de la loi désignée par les règles internationales.

378. L'organe chargé de l'application peut se trouver dans l'impossibilité matérielle d'appliquer le droit étranger. Cette impossibilité, visée dans le troisième paragraphe du présent article, est absolue s'il s'avère qu'aucun point de rattachement à une norme de conflit ne peut être trouvé, dès lors que la réglementation étrangère présente des lacunes sur ce point ou si son contenu n'a pas pu être déterminé ou est largement contraire à l'ordre public. Dans ce dernier cas, il s'agit davantage d'une impossibilité légale ou morale plutôt que matérielle, tel que cela a été exposé dans le point précédent. L'impossibilité peut être partielle si elle ne porte que sur une partie des règles, relatives au litige, et qui seraient méconnues ou dérogées. Dans ce cas l'impossibilité matérielle d'appliquer le droit étranger ne s'appliquera qu'à ces aspects partiels de la situation. Le défaut de preuve du droit étranger n'implique pas en soi une impossibilité matérielle, vu qu'il peut dépendre de la volonté des parties ou de l'interprète, bien que ses conséquences puissent coïncider, comme nous le verrons, avec celles que produit l'impossibilité matérielle d'appliquer le droit étranger.

Dans ces situations, il s'agit de déterminer quel est le droit applicable dans le cas où la règle de conflit du for désigne un droit étranger et que le juge se trouve dans l'impossibilité de le connaitre ou s'il s'agit d'un cas d'« impossibilité matérielle » d'application du droit étranger. Face à ce problème le juge a le choix entre deux solutions. La première solution consiste à rejeter purement et simplement la demande, ce qui est le plus simple mais qui, procéduralement, ne tranche pas le fond du litige. Cela peut avoir des conséquences évidemment injustes, non seulement en mettant en cause l'aspect juridique du droit étranger, mais également en s'exposant à un déni de justice. Dans la deuxième solution, le juge peut « être tenu » d'appliquer une loi différente. La question consiste, par conséquent, à désigner cette loi. Ce à quoi, trois réponses peuvent être apportées :

  1. Il peut être considéré que ladite loi doit être déterminée par le juge lui-même sur la base des « principes généraux du droit communs aux systèmes en présence » à l'occasion du litige462. Il ne fait aucun doute que cette construction implique un renforcement de la méthode comparée, en insistant sur les aspects communs des systèmes juridiques en présence. Toutefois, malgré une présentation attrayante, il convient de s'interroger sur l'opérativité c'est-à-dire sur le fait que ce qui s'avère facile en matière d'arbitrage, ne l'est pas autant pour le juge national qui se voit limité par son propre ordre juridique.
  2. Il peut être appliqué l'ordre juridique le plus proche. En cas d'impossibilité matérielle d'appliquer le droit étranger constatée par la règle de conflit, il faudrait s'en remettre à un ordonnancement de la même famille juridique, également sur la base du droit comparé. Il s'agit d'une solution intéressante dans une perspective théorique, mais irréelle sur le plan pratique. Il est certain qu'il existe des systèmes juridiques présentant un degré élevé de mimétisme et de réception des autres droits, toutefois, les appliquer à ce type de cas peut conduire à un résultat purement procédural ou arbitraire voire même à des résultats contradictoires.
  3. Il peut être appliqué la lex fori. Cette conception a été maintenue à partir d'avis différents. Il est question, dans premier temps, d'une « présomption d'identité » par conséquent, cette thèse possède une relation directe avec l'argument qui vient d'être exposé. Toutefois, elle ne peut être opérationnelle que dans les pays anglo-saxons fondés sur la common law. De même, il est fait référence à la « compétence générale du droit du for »463. Enfin, il est davantage fréquent de se référer à l'éventuelle compétence résiduelle du droit du for : la règle de conflit du for renvoie au droit matériel étranger, mais, dans le cas où il serait inexistant, c'est le droit du for qui complète le vide juridique avec ses propres règles matérielles464. Cette solution est celle adoptée par le paragraphe 3, in fine, du présent article commenté. Ce n'est pas en vain que la supériorité de la loi du for découle de raisons pratiques élémentaires du fait de sa réalité et, surtout, des facilités d'interprétation qu'elle représente pour le juge465.

Si le juge opte pour cette dernière solution, il doit toutefois, avoir la certitude qu'il s'avère impossible de connaitre le droit étranger non pas par simple négligence de la partie ou d'une attitude frauduleuse466 et pour ce faire, il peut utiliser les moyens pertinents. Autrement dit, l'application de la lex fori sera possible uniquement si tous les moyens d'information sur le droit étranger ont été épuisés et, en outre, s'il existe une relation substantielle du cas d'espèce avec le for. Et, dans tous les cas, en dernier recours, il sera possible de s'en remettre à un « troisième droit » à travers l'utilisation de critères de rattachement de caractère subsidiaire selon le propre système de DIPr qui sera appliqué467.


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