AVANT-PROJET DE LOI MODÈLE OHADAC RELATIVE AU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Article 6

Domaine général de la juridiction.

1. Les tribunaux caribéens ont juridiction sur les procédures engagées en territoire caribéen entre Caribéens, entre étrangers et entre Caribéens et étrangers selon ce qui est établi par la présente loi et par les Traités et conventions internationaux auxquels la Caraïbe est partie.

2. Les étrangers ont accès aux tribunaux caribéens de la même manière que les nationaux et jouissent du droit à une protection juridictionnelle effective. Nul dépôt, ni caution, quelle qu'en soit la dénomination, ne pourra être exigé du demandeur ou de l'intervenant que ce soit en raison de sa qualité d'étranger ou que ce soit en raison de son défaut de domicile ou de résidence sur le territoire.

3. Les accords d'élection de for sont licites lorsque le litige revêt un caractère international. Un litige revêt un caractère international lorsqu'il comporte un élément d'extranéité correspondant à ceux visés à l'article 1er §2.

116. L'article 6 inaugure le titre II de la loi type en ouvrant un chapitre premier consacré à l'étendue de la juridiction de l'État de la Caraïbe234. Le terme juridiction désigne cette prérogative régalienne qui habilite l'État ou ses organes à trancher les litiges et, en l'occurrence, à trancher les litiges en matière civile et commerciale comme le titre l'indique. Il s'agit du pouvoir de juger. C'est ce que confirme le §3 lorsqu'il admet la licéité des clauses d'élection de for pour les litiges présentant un caractère international : cette licéité, selon le cas, soit rapproche la frontière que ne peut pas franchir le pouvoir de juger des tribunaux caribéens et efface ainsi la compétence de ceux-ci, soit au contraire éloigne cette frontière et augmente la compétence de ceux-ci.

Ainsi susceptible d'être déplacée par les clauses attributives de juridiction, cette frontière est en principe tracée par le §1 qui procède à une double détermination, ratione personae et ratione loci, du pouvoir de juger.

117. Les juges caribéens sont habilités à exercer le pouvoir de juger à l'égard de toute personne, de nationalité caribéenne ou non. Est ainsi réglée une question de condition des étrangers, à la solution de laquelle le §2 apportera ensuite quelques précisions complémentaires. En neutralisant l'opposition du citoyen et de l'étranger, le texte fonde d'abord une juridiction universelle quant aux personnes.

118. Mais cette juridiction est resserrée dans l'espace : le litige à trancher doit « survenir en territoire caribéen ». La solution est réaliste. Le territoire est précisément l'espace dans lequel l'autorité étatique dispose du monopole de l'exécution forcée. Contre la renonciation à la justice privée et à l'usage individuel de la force brute, l'État moderne s'est engagé à assurer une justice publique et à en garantir la réalisation, au besoin, par la contrainte organisée : ainsi, parmi les prérogatives régaliennes, pouvoir de juger et pouvoir de contraindre sont associés l'un à l'autre. En somme, en exigeant un rattachement territorial, l'article 6 indique que, sauf élection de for, un procès échappe à la juridiction caribéenne lorsque, par aucun de ses éléments, le rapport litigieux ne se localise sur le territoire caribéen, parce qu'alors non seulement la querelle ne trouble pas le cours de la vie sociale caribéenne, mais encore la décision qui serait prononcée ne pourrait bénéficier de l'action des organes d'exécution caribéens.

119. Cependant ce n'est pas parce qu'un litige survient sur le territoire qu'il sera nécessairement tranché par les tribunaux caribéens. En définissant le champ de la juridiction, le rattachement territorial permet de porter devant les juges caribéens tout autant les litiges internes que les litiges internationaux. Les premiers ne sont exposés à aucune juridiction concurrente et doivent être tranchés par les tribunaux caribéens. En revanche, les seconds naissent de situations qui, par hypothèse, se développent au contact de plusieurs ordres juridiques, chacun doté d'un appareil judiciaro-coercitif susceptible de les résoudre : par conséquent, ces litiges internationaux sont exposés à une concurrence des juridictions qui place la Caraïbe en position de déterminer la part du contentieux international qu'elle juge opportun de confier à ses propres tribunaux et la part qu'elle peut laisser aux juridictions étrangères sans compromettre les intérêts des plaideurs ni la paix civile dans la vie sociale qu'elle contrôle. Aussi bien, le §1er avertit que la juridiction dont l'exercice est dévolu aux tribunaux caribéens se déploiera selon le système de compétence internationale « établi par la présente loi et les traités et accords internationaux auxquels la Caraïbe est partie ». Il s'ensuit qu'en pratique un litige international présentant un lien territorial avec la Caraïbe ne sera (réserve faite de l'élection de for) pris en charge par la juridiction caribéenne que s'il vérifie un chef de compétence d'origine légale ou conventionnelle.

120. La juridiction universelle est ainsi réduite par le double emboîtement qu'opèrent le rattachement territorial et le système de compétence internationale. Le §2 garantit qu'aucune restriction ne sera opposable aux plaideurs en raison de leur qualité d'étrangers : les plaideurs qui n'ont pas la nationalité caribéenne auront accès à la juridiction caribéenne dans les mêmes conditions que les citoyens caribéens et jouiront donc sur un pied d'égalité du droit à une protection juridictionnelle effective. L'égalité de traitement entre national et étranger condamne évidemment l'antique cautio judicatum solvi qui dans certains États a pu être, sous une forme ou sous une autre, exigée des seuls étrangers, soupçonnés en tant que tels d'être enclins à exercer des actions en justice téméraires et à se dérober ensuite à la charge de frais et dépens en se retirant dans leur pays235 : à l'époque de la mondialisation cette représentation du plaideur étranger est pour le moins anachronique. Pour souligner la valeur attachée à cette égalité de traitement et placer celle-ci sous l'égide du principe de non discrimination, réaffirmé par les conventions relatives aux droits de l'homme, sont aussi mentionnées les personnes qui n'auraient pas de domicile ou de résidence dans la Caraïbe : pas plus que les étrangers, celles-ci ne doivent être entravées dans leur accès à la justice.

Le §2 ne précise pas si cette identité de condition implique que chaque plaideur, fût-il étranger, non domicilié, ni résident, a en cas d'impécuniosité vocation au recours d'une « aide juridictionnelle ». Il se concevrait que la solidarité nationale ne soutienne que les plaideurs résidents ou domiciliés sur le territoire dans la mesure où seuls ceux-ci contribuent à la prospérité nationale et au financement des services publics. Le silence du texte sur ce point particulier laisse au droit de chaque État adoptant la loi type le choix des conditions d'octroi de l'aide juridictionnelle dans les limites tracées par le principe de non discrimination et le droit à la protection juridictionnelle effective.

121. Le §3 impose à la juridiction universelle ainsi circonscrite, une limitation supplémentaire et occasionnelle, résultant de la volonté privée. Il admet en effet la licéité des clauses d'élection de for visant les litiges présentant un caractère international236. Ce faisant, il ne distingue pas selon que la clause, en désignant un tribunal étranger, réduit la juridiction caribéenne ou selon qu'en désignant un tribunal caribéen, elle étend cette juridiction. Néanmoins, il ne s'ensuit pas que la loi type élève les choix de volonté privée ou l'autonomie des particuliers au rang de principe et ramène à un rang subsidiaire les chefs de compétence que la présente loi ou le droit conventionnel énoncent. L'article 10 montrera, par exemple, que bien qu'issues de la loi, les compétences exclusives de l'article 9 ou les compétences en matière de droit de la personne et de la famille de l'article 13, tiennent en échec les clauses attributives de juridiction. En d'autres termes, l'autonomie des particuliers n'est consacrée que lorsque le litige porte sur un rapport relevant d'une matière où la composition des intérêts privés n'est pas placée sous le contrôle de la publica utilitas, sous le contrôle de l'intérêt public. À chacun son domaine. L'autonomie des parties ne s'impose que lorsqu'elle s'exprime dans les domaines où celles-ci ont la libre disposition de leurs intérêts.

122. Le §3 ne mentionne pas cette restriction : il reste sur un plan général. Il n'indique pas davantage les conditions auxquelles est subordonnée la validité de l'accord d'élection de for : celles qui sont propres aux clauses de juridiction figurent aux articles 10 et 12 alors que les autres relèvent du droit commun des conventions. En revanche le §3 marque clairement que la licéité qu'il proclame ne concerne que les stipulations visant un litige présentant un caractère international. Et l'importance de cette précision est soulignée avec un peu d'insistance par un renvoi à la définition de l'internationalité de article 1er, §2237 à laquelle il convient donc de se reporter. La loi type se garde évidemment de prononcer sur la licéité ou l'illicéité, absolue ou relative, des prorogations volontaires de for en droit interne : cette question relève du droit judiciaire privé de chaque État et elle se pose dans le cadre d'une organisation judiciaire homogène et non pas dans une hypothèse de pluralité d'ordres juridictionnels. La clause de juridiction visant des litiges à caractère international tend spécialement à prévenir les inconvénients de cette pluralité et de la diversité des offres de justice qui en résultent – au premier rang desquels se place le risque, dévastateur, de procurer à la partie la plus rapide le choix du juge qui lui est le plus commode sur le plan procédural et le plus favorable sur plan substantiel. Il s'agit bien là de dangers spécifiques aux relations privées internationales telles que définies à l'article 1er, §1.

123. Ainsi, l'article 6 met en place pour le traitement des litiges à caractère international un système reconnaissant à la Caraïbe une juridiction universelle et non discriminante quant aux personnes, que circonscrit l'exigence d'un lien territorial et qui s'exerce selon les règles légales et conventionnelles de compétence internationale, sous réserve d'accords d'élection de for dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs intérêts. Les deux dispositions suivantes apportent à la juridiction caribéenne d'autres limitations qui sont d'origine différente.


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