PRINCIPES OHADAC RELATIFS AUX CONTRATS DU COMMERCE INTERNATIONAL

Article 7.4.1

Droit aux dommages-intérêts

1. L'inexécution d'une obligation donne au créancier le droit à des dommages-intérêts, soit à titre exclusif, soit en complément d'autres moyens, sous réserve des exonérations prévues dans les présents Principes.

2. N'est réparable que le préjudice, même futur, qui est établi avec un degré raisonnable de certitude.

3. Le créancier a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a subi du fait de l'inexécution. Le préjudice comprend la perte subie par le créancier et le bénéfice dont il a été privé.

4. Les préjudices non matériels produits par l'inexécution du contrat, tels que la souffrance, la perte de jouissance ou l'angoisse sont aussi indemnisables.

1. Indépendance et compatibilité du droit à percevoir des dommages et intérêts

Les dommages et intérêts entrent dans le cadre des remèdes configurant la responsabilité contractuelle. L'inexécution de l'obligation convenue au contrat entraine une atteinte à l'intérêt du créancier et l'indemnisation a pour fonction de compenser le préjudice qui en résulte. Pour ce faire, le droit à être indemnisé nait face à tout type d'inexécution à condition que cela soit justifié.

En droit anglais, il est considéré que l'inexécution de l'obligation convenue contractuellement (primary obligation) fait naitre l'obligation secondaire d'indemniser le préjudice subi (secondary obligation to pay damages). C'est le remède normal, car la common law est restrictive dans la reconnaissance de la demande d'exécution [Photo Production Ltd v Securicor Ltd. (1980), UKHL 2].

De même, dans les systèmes de tradition romano-germanique figure, à titre général, le devoir d'indemniser le préjudice pour inexécution contractuelle (articles 1.613 et s. du code civil colombien : articles 701 et s. du code civil costaricain : article 293 du code civil cubain : articles 1.146 et s. des codes civils français et dominicain : articles 1.433 et s. du code civil guatémaltèque : articles 936 et s. du code civil haïtien : articles 1.360 et s. du code civil hondurien : articles 2.107 et s. du code civil mexicain : articles 1.860 et s. du code civil nicaraguayen : articles 986 et s. du code civil panaméen : articles 1.054 et s. du code civil portoricain : articles 996 et 1.001 et s. du code civil saint-lucien : articles 1.264 et s. du code civil vénézuélien). Toutefois, dans certains systèmes de cette tradition, la question s'est posée quant à l'indépendance de l'indemnisation. Ainsi, c'est le cas de la Colombie où la jurisprudence a accepté l'indépendance des actions en matière civile, comme cela se passe en matière commerciale [article 925 du code de commerce colombien : arrêt de la Cour Suprême de Colombie, chambre de cassation civile, du 3 octobre 1977 (Gaceta Judicial, tome CLV, nº 2396, 1977, p. 320-335) : au contraire, arrêt de la Cour Suprême de Justice, chambre de cassation civile, du 2 juin 1958, (Gaceta Judicial, tome LXXXVIII, n° 219, pp. 130-134) et du 14 août 1951 (Gaceta Judicial 1951, p. 55-63). De même, au Venezuela, le silence du législateur a mené la doctrine à envisager la possibilité d'exercer une action en dommages et intérêts indépendamment de la résolution ou de l'inexécution, ou si elle se trouve subordonnée à ces moyens. La jurisprudence a déclaré l'autonomie de l'action dans une décision importante du 10 novembre 1953 (CFC/SCMT, 10/11/1953, Gaceta Forense, 2a E., No 2, pp. 431 s.), et malgré cela, une grande partie de la doctrine continue de trouver qu'il est difficile de construire une règle générale sur l'indépendance des actions. Les codes civils néerlandais et surinamais configurent un régime basique applicable aux dommages contractuels et extracontractuels, c'est-à-dire à toute obligation d'indemniser en vertu des articles 6:74 et s.

Le paragraphe premier du présent article présente le droit aux dommages et intérêts comme un remède indépendant et compatible avec les autres remèdes. Il est indépendant parce que, dans le cadre des présents Principes, la partie lésée peut décider de l'actionner comme unique remède face à une prestation défectueuse ou non conforme, ou face à l'exécution impossible par le débiteur. Il peut également être exercé concomitamment à d'autres remèdes avec lesquels il sera compatible, par exemple, pour compenser le dommage découlant d'une résolution contractuelle face à une inexécution essentielle ou avec le droit à l'exécution en cas d'exécution tardive, pour compenser les dommages que le retard aura occasionnés au créancier.

2. Caractère non pertinent de la faute

La majorité des systèmes de tradition romano-germanique partent de la faute de la partie défaillante comme condition pour octroyer des dommages et intérêts à la partie lésée. Ce sont donc des systèmes subjectifs ou fondés sur la faute (articles 1.147 et 1.148 des codes civils français et dominicain : articles 937 et 938 du code civil haïtien : article 1.424 du code civil guatémaltèque : articles 1.360 et 1.362 du code civil hondurien : articles 1.860, 1.862, 1.863, 1.864 du code civil nicaraguayen : articles 986, 988, 989, 990 du code civil panaméen : articles 1.054, 1.056, 1.057 et 1.058 du code civil portoricain). D'autres codes, comme le cubain (article 293), le saint-lucien (article 1.002) et le vénézuélien (article 1.264), semblent s'orienter vers la thèse objective, toutefois dans ce dernier code, il est en fait établi une responsabilité fondée sur la faute, qui est présumée de façon absolue par le législateur (articles 1.271 et 1.272 du code civil vénézuélien).

Les systèmes juridiques néerlandais et surinamais, bien qu'un esprit d'objectivité transparaisse, ne parviennent pas à se détacher totalement de la faute. Ainsi, l'article 6:75 des codes civils néerlandais et surinamais prévoient que pour imputer des dommages et intérêts, l'inexécution doit être imputable au débiteur soit parce qu'il est reconnu coupable, soit parce qu'il s'agit d'un risque qui est imputé par la loi, la relation juridique ou par « une opinion généralement admise » (de in het verkeer geldende opvatting). Il apparait qu'il est fait mention de l'imputation pour faute et également pour risque (imputation subjective et objective).

Parmi les systèmes clairement objectifs figurent les droits du contexte anglo-américain, pour lesquels le débiteur engage sa responsabilité pour la simple inexécution, en l'absence de raisons positives susceptibles de l'excuser, et cela sans avoir besoin de vérifier s'il a ou non commis une faute. Dans cette même ligne, l'article 77 CVIM régit les dommages et intérêts sur le modèle objectif, tel que le prévoit l'article 79 qui dispose que les causes exonératoires prévues dans cet article n'ouvrent pas un droit à dommages et intérêts. Entrent également dans ce groupe les PU (article 7.4.1) et les propositions d'harmonisation du droit en Europe : articles 9:501 (1) PECL et III-3:701 (1) DCFR. De même, l'article 159.1 CESL a opté pour le système objectif.

Conformément à cette tendance à l'objectivisation et en écho à l'adoption d'un concept d'inexécution de type objectif (commentaire sous l'article 7.1.1 des présents Principes), la règle proposée ici ne fonde pas l'attribution de dommages et intérêts à la partie lésée sur la faute du débiteur défaillant. Par conséquent, cette attribution est justifiée chaque fois que l'inexécution du débiteur ne proviendra pas d'un cas de force majeure (article 7.1.8) ou qu'elle ne sera pas couverte par une clause d'exonération ou de limitation de responsabilité (article 7.1.7).

3. Non pertinence de la mise en demeure du débiteur

Dans la majorité des systèmes caribéens romano-germaniques, en cas de retard d'exécution la responsabilité n'est engagée que si la partie défaillante est mise en demeure d'exécuter. Dans ces droits, la mise en demeure marque le point de départ du transfert de risques en cas de perte de la chose due et également du devoir d'indemniser les dommages occasionnés par le retard d'exécution (article 1.615 du code civil colombien : article 1.084 du code civil costaricain : article 255 du code civil cubain : article 1.146 des codes civils français et dominicain : article 1.433 du code civil guatémaltèque : article 936 du code civil haïtien : article 1.364 du code civil hondurien : article 2.105 du code civil mexicain : article 1.859 du code civil nicaraguayen : article 985 du code civil panaméen : article 1.053 du code civil portoricain : article 999 du code civil saint-lucien : article 1.269 du code civil vénézuélien). De même, les codes civils néerlandais et surinamais exigent la mise en demeure dans les cas où l'exécution de la prestation est encore possible ou si elle est impossible de façon temporaire (article 6:74.2). Toutefois, certains codes du commerce ne conditionnent pas la responsabilité pour retard d'exécution des obligations commerciales à la mise en demeure (article 418 du code de commerce costaricain : article 63 du code de commerce cubain : article 677 du code de commerce guatémaltèque : article 85 du code de commerce mexicain : article 232 du code de commerce panaméen : article 94 du code de commerce portoricain).

Pour les juristes anglo-américains, la mise en demeure est un concept étranger. En cas d'inexécution, le devoir d'indemniser court à compter de la date d'exécution convenue au contrat. Si aucune date n'a été convenue pour l'exécution, le débiteur devra exécuter dans un délai raisonnable et le droit à l'indemnisation ne naitra qu'à l'expiration de ce délai sans que le créancier ne doive procéder à une quelconque mise en demeure. De même, à partir du moment où la partie défaillante n'exécute pas, elle en assume les risques (section 20 du Sale of Goods Act du Royaume-Uni de 1979 : section 22 du Sale of Goods Act des Bahamas, de Montserrat, de Barbuda, de Trinité-et-Tobago et du Bélize : et section 21 du Sale of Goods Act de la Jamaïque), sans pouvoir invoquer la frustration pour se libérer de son obligation en cas d'impossibilité d'exécution, il sera alors considéré qu'il existe self-induced frustration.

Tout en suivant la voie marquée par les systèmes anglo-saxons, la demande de dommages et intérêts pour retard dans la CVIM, PU, PECL et DCFR n'est pas conditionnée à une mise en demeure, ni à une notification d'inexécution.

La présente règle, conformément au commentaire sous l'article 7.1.1 relatif au concept d'inexécution, ne rattache pas la mise en demeure à la naissance du droit à des dommages et intérêts. Et ce bien que, comme cela a été vu, un grand nombre d'systèmes de la zone caribéenne qui conditionnent l'indemnisation du retard d'exécution au fait que le débiteur ait été préalablement mis en demeure. Toutefois, cette option se heurterait frontalement aux conceptions juridiques anglo-américaines, pour lesquelles la mise en demeure est une mesure « troublante », sans compter qu'elle constitue un système très pratique, rapide et sûr, tel que l'exige les relations commerciales.

4. Le préjudice réparable doit avoir un caractère certain

L'indemnisation remplit une fonction d'indemnisation, aussi il ne suffit pas qu'il y ait simplement inexécution du contrat pour que naisse le devoir d'indemniser, mais il faut que cette inexécution cause au débiteur un préjudice qui doit être certain (paragraphe deux).

Exemple 1 : A, une entreprise du pays X, n'a pas exécuté son obligation de livrer à l'entreprise B, du pays Y, des biens de genre déterminés dont le prix était en baisse. B n'ayant toujours pas payé le prix, s'il parvient à acheter les marchandises à un autre fournisseur à un prix plus bas que celui convenu dans le contrat, il n'aura subi aucun dommage et A n'aura donc pas à lui verser de dommages et intérêts bien qu'il n'ait pas exécuté ses obligations contractuelles.

Exemple 2 : Suite aux conseils négligents de son avocat qui lui a annoncé des perspectives infondées de bénéfices, A décide d'investir ses économies dans une entreprise. Si finalement, par hasard, il en tire des bénéfices économiques, A ne pourra pas demander de dommages et intérêts à son avocat, car bien que celui-ci n'ait pas exécuté son obligation en n'agissant pas avec la diligence requise par sa lex artis, A n'a subi aucun dommage effectif.

Une exception à cette règle d'or figure dans la majorité des systèmes, sous le nom de nominal damages en droit anglo-saxon. Des indemnisations symboliques sont octroyées au demandeur par le seul fait de l'inexécution, même s'il ne lui a pas causé un préjudice effectif [Surrey CC v Bredero Homes Ltd (1993), 1 WLR 1361] ou si malgré le préjudice, il n'est pas possible de prouver son existence [Columbus & Co Ltd v Clowes (1903), 1 KB 244] ou son montant [Erie County Natural Gas and Fuel Co Ltd v Carrol (1911), AC 105]. Toutefois, la finalité habituelle des nominal damages ne consiste qu'à constater la violation du droit du demandeur.

Outre cette particularité de la common law, et bien que beaucoup moins connue, il existe en France une exception au principe de la nature compensatoire du droit aux dommages et intérêts de l'article 1.145 du code civil français. Lorsqu'il s'agit d'une obligation de ne pas faire, le débiteur sera tenu au paiement de dommages et intérêts par le simple fait d'avoir enfreint son obligation. Cette même exception existe dans les articles 1.612 du code civil colombien, 1.145 du code civil dominicain, 1.326 du code civil guatémaltèque, 2.104 in fine du code civil mexicain, 1.001 du code civil saint-lucien, et 1.266 du code civil vénézuélien. De même, tous les systèmes visent une autre exception en matière d'obligations pécuniaires (commentaire sous l'article 7.4.6 Principes OHADAC).

Il est implicitement exigé que le dommage découle de l'inexécution, à savoir, qu'il existe un lien de causalité suffisant entre l'inexécution et le préjudice causé.

La règle posée par le paragraphe trois comprend également la possible indemnisation du préjudice futur, à savoir, celui qui n'est pas encore survenu mais qui peut être prévisible avec un degré de certitude raisonnable. Est exclu le préjudice hypothétique ou celui fondé sur de simples conjectures ou espérances. Le dommage futur prend parfois la forme d'un manque à gagner ou d'une perte de chance. Les articles 74 CVIM, 7.4.3 PU, 9:501 (2) (b) PECL et III-3:701 (2) DCFR se réfèrent au préjudice futur en droit uniforme.

5. Le principe de réparation intégrale

Le principe de réparation intégral du préjudice, selon lequel l'indemnisation a pour finalité de rétablir autant que faire se peut la perte d'équilibre des intérêts due à l'inexécution et de placer la partie lésée dans la situation dans laquelle elle serait si le préjudice n'avait pas eu lieu. Ce principe représente, dans tous les systèmes juridiques OHADAC, l'essence même du droit à réparation et doit être considéré dans l'axe du calcul de l'indemnisation [article 1.613 du code civil colombien : article 1.149 des codes civils français et dominicain : article 1.434 du code civil guatémaltèque : article 939 du code civil haïtien : articles 6:95 et 6:96 des codes civils néerlandais et surinamais : article 1.365 du code civil hondurien : articles 2.108, 2.109 et 2.115 du code civil mexicain : article 1.865 du code civil nicaraguayen : article 991 du code civil panaméen : article 1.059 du code civil portoricain : article 1.004 du code civil saint-lucien : article 1.273 du code civil vénézuélien : section 1-106 UCC : section 347 du Restatement Second of Contracts : arrêt de la High Court de la Barbade dans l'affaire Vaugh v Odle (1982), No. 765, Carilaw BB 1982 HC 44 : article 74 CVIM : articles 7.4.2 et 7.4.3 PU : article 169 CESL).

Les effets du principe de réparation intégrale sont préférés dans la majorité des systèmes pour leur intérêt positif ou comme mesure générale de l'exécution permettant d'indemniser le préjudice contractuel. L'indemnisation vise à placer le créancier dans la même situation et offre les mêmes résultats économiques que si l'exécution avait eu lieu. Par contre, l'« intérêt négatif ou de confiance » place toujours le créancier dans la situation dans laquelle il se trouvait avant la conclusion du contrat.

En droit anglais, la règle de l'indemnisation de l'intérêt positif a été retenu par l'arrêt de l'affaire Robinson v Harman en 1848 (1 Ex Rep 850) de sorte que, parfois, le cocontractant peut réclamer seulement l'intérêt négatif, par exemple parce que la perte de bénéfices sera très difficile à prouver [Anglia TV v Reed (1971), 3 All ER 690 : McRae v Commonwealth Disposals Commision (1951), 84 CLR 377]. Le droit étatsunien, dans la même ligne, permet à la partie lésée de choisir entre l'intérêt positif et l'intérêt négatif (sections 347 et 349 du Restatement Second of Contract), qui est le résultat pratique auquel conduit également le droit anglais.

Les systèmes caribéens de tradition romano-germanique ne font pas dogmatiquement la distinction entre l'intérêt positif et l'intérêt négatif même si les juridictions ont procédé à cette distinction. Elle est expressément énoncée dans les PECL et DCFR (article 9:502 et III-3:702) sous l'intitulé « Mesure des dommages et intérêts en général », et également l'intérêt positif figure à l'article 160 CESL.

Nonobstant, alors qu'il est considéré que c'est la forme la plus appropriée pour répondre au principe de réparation intégrale et promouvoir la confiance dans les contrats, dans les présents Principes il a été opté pour ne pas établir définitivement la possibilité d'indemniser l'intérêt d'exécution. À certaines occasions, il sera difficile de le calculer et de l'octroyer, d'où le choix d'une règle ouverte permettant à la partie lésée (ou au juge ou à l'arbitre) d'établir un calcul des dommages selon les circonstances de l'espèce.

Le principe de réparation intégrale fonctionne également comme limite à la réclamation de dommages et intérêt, afin d'éviter un enrichissement de la victime, et comporte l'interdiction des « dommages et intérêts punitifs » (punitive damages), dont le caractère est sanctionnateur. Dans le droit anglais, bien qu'ils soient admis dans quelques cas de responsabilité civile extracontractuelle, aucune inexécution contractuelle ne peut justifier l'octroi de dommages et intérêts sanctionnateurs, comme cela a été refusé dans l'arrêt Addis v Gramophone Co. Ltd (1909, AC 488). Aux États-Unis, ce refus des dommages et intérêts sanctionnateurs est consacré dans de nombreuses règles et dans la section 1-106 UCC, alors que les tribunaux les octroient en matière de responsabilité extracontractuelle et voire même dans les cas où, suite à l'inexécution du contrat, il est conjointement exercé une action de tort [St Louis and SFR Cov v Lilly (1916), 162 SW 266 : Armada Supply Inc v S/T Agios Nocolas (1986), 639 F. Supp. 1161, 1162 : Thyssen Inc v SS Fortune Star (1985), 777 F.2d 57, 63].

6. Le préjudice réel et le gain manqué

En vertu du paragraphe trois du présent article, le préjudice comprend ce que le droit romain connait sous le nom de « préjudice réel » (damnum emergens) et de gain manqué (lucrum cesans). Le préjudice réel est constitué d'une perte subie qui est effective et connue. Il couvre, en premier lieu le préjudice intrinsèque, à savoir, la valeur de la prestation non réalisée (ou le complément de la prestation réalisée de façon défectueuse). En second lieu, il couvre tout type de frais engagé par le créancier et qui s'est avéré inutile à cause de l'inexécution ou du dommage causé aux biens du créancier, y compris les biens non matériels, au défaut d'exécution de la prestation convenue. Le manque à gagner se réfère aux bénéfices raisonnables qui n'ont pas pu être obtenus, à savoir, les avantages qui n'ont pas pu être acquis à cause de l'inexécution. La possibilité d'indemnisation qu'ouvrent les deux concepts est communément partagée [article 1.613 du code civil colombien : article 1.149 des codes civils français et dominicain : article 1.434 du code civil guatémaltèque : article 939 du code civil haïtien : article 6:96.1 des codes civils néerlandais et surinamais : article 1.365 du code civil hondurien : articles 2.108 et 2.109 du code civil mexicain : article 1.865 du code civil nicaraguayen : article 991 du code civil panaméen : article 1.059 du code civil portoricain : article 1.004 du code civil saint-lucien : article 1.273 du code civil vénézuélien : article 74 CVIM : article 7.4.2 (1) PU : article 9:502 PECL : article III-3:702 DCFR : article 160 CESL]. Dans la common law, il ne fait aucun doute que l'expectation interest englobe les deux éléments, bien que la distinction ne soit pas très utilisée par les tribunaux.

Le gain manqué implique une certaine dose d'incertitude et d'aléas, du fait qu'il concerne normalement le futur. De sorte qu'il n'est pas suffisant d'établir la simple possibilité ou espérance de réalisation d'un gain pour qu'il existe une probabilité objective et raisonnable que ce gain se serait réalisé. Ce caractère « raisonnable » auquel se réfère le paragraphe trois du présent article sera apprécié en prenant en compte le cours normal de choses et au regard des circonstances propres à l'espèce.

Exemple : Le navire « Calixto », propriété de l'entreprise A du pays X, a été transporté au chantier naval de B, du pays Y, afin que des travaux de nettoyage et de peinture de son fond soient effectués. Parce que ces travaux n'ont pas été effectués avec l'expertise professionnelle exigible, le navire a accosté de manière défectueuse et s'est échoué. Le navire a été considérablement endommagé et sa livraison à A est donc retardée de trois mois. A a donc demandé des dommages et intérêts pour le manque à gagner dû à l'immobilisation du navire qui n'a pas pu être utilisé pour des opérations de pêches durant ces trois mois. Dans l'estimation de ce manque à gagner, il faudra prendre en compte la quantité de poissons pêchés en moyenne par ce bateau durant les mêmes mois des années antérieures, le tout avec prudence et en excluant les gains soit non fondés, soit fondés uniquement sur des attentes.

7. Le préjudice moral contractuel

Même si dans les contrats commerciaux, cela ne sera pas très fréquent, le paragraphe quatre du présent article prévoit que la réparation du préjudice découlant de l'inexécution comprendra également, le cas échéant, le préjudice non matériel ou le préjudice moral.

Dans la zone OHADAC, il n'existe pas de position commune quant à la réparation de ce type de préjudice. Le droit anglais part d'une posture négative, énoncée dans la fameuse décision relative dans l'affaire Addis v Gramophone (1909, AC 488), et qui a été réitérée à de multiples occasions, y compris récemment [Johnson v Gore Wood & Co (2002), UKHL 65]. Toutefois, ces derniers temps, les réticences se sont amoindries et les tribunaux anglais et des États caribéens de common law ont accepté de dédommager le préjudice moral contractuel dans deux types de cas : en premier lieu, lorsque le contrat consiste à fournir du plaisir, de la relaxation ou la paix [affaires Jarvis v Swans Tours (1973), QB 233 : Ruxley Electronics and Construction v Forsyth (1996), UKHL 8 : Farley v Skinner (2002), AC 732 : arrêt de la High Court de la Barbade dans l'affaire Brathwaite v Bayley (1992), Carilaw BB 1992 HC 23 : Jamaica Telephone Co Ltd v Rattray (1993), 30 JLR 62]. En second lieu, lorsque l'inexécution du contrat provoque des problèmes physiques ou des désagréments [Watts v Morrow (1991), 4 All ER 937 : arrêt de la High Court de la Barbade dans l'affaire Harvey-Ellis v Jones (1987), Carilaw BB 1987 HC 44].

En droit français, même si le code civil ne le vise pas expressément, la doctrine et la jurisprudence considèrent que le préjudice moral est indemnisable à titre général. De la même façon, l'arrêt du 9 décembre 2010 de la formation plénière de la Cour constitutionnelle colombienne (arrêt C-1008/10) a admis la réparation des préjudices matériels et non matériels en matière contractuelle, par le biais du principe de réparation intégrale. À Cuba, la doctrine penche pour la possibilité de dédommagement sur le fondement de l'article 294 du code civil cubain, qui renvoie à la responsabilité extracontractuelle pour fixer l'indemnité d'inexécution du contrat. Toutefois, dans d'autres systèmes romano-germaniques, face au silence des codes civils, les tribunaux se montrent restrictifs dans leur reconnaissance : cela se passe au Mexique ou au Venezuela, où un arrêt de la Cour suprême de justice, chambre de cassation civile du 12 août 2011, a reconnu la réparation du préjudice moral dans un cadre contractuel tant dans les cas où, concomitamment à la responsabilité contractuelle, intervient la faute extracontractuelle. Aux Pays-Bas, le préjudice moral parait être limité aux cas de responsabilité extracontractuelle, bien que sur le fondement de l'article 6:106 des codes civils néerlandais et surinamais il est retenu aussi au regard de la responsabilité contractuelle. Dans le cadre communautaire européenne, l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 mars 2002 (As. C-168/00: Simone Leitner/TUI Deutschland Gmb & Co KG) déclare la possibilité de dédommager le préjudice moral.

De la même manière, les propositions formulées par le droit uniforme reconnaissent que le préjudice réparable ne se limite pas à son aspect pécuniaire, mais inclut également toute forme de souffrance, désagrément, charge psychologique, ou en général, tout « préjudice moral » que l'inexécution a fait subir à la partie lésée [article 7.4.2. (2) PU : article 9:501 (2) PECL : article III-3:701 DCFR].

Au regard de la règle ici proposée, la souffrance, l'angoisse, la perte de jouissance, ainsi que toute atteinte à la réputation personnelle ou professionnelle sera susceptible d'être dédommagée. La réparation peut se faire par le versement d'une indemnisation économique, ce qui est le plus normal, ou par toute autre mesure qui s'avère adaptée au cas d'espèce, comme la publication d'un communiqué de presse ou la publication d'excuse, etc.

Exemple : A, un ténor célèbre du pays X, est engagé pour l'inauguration du nouveau théâtre de l'opéra national du pays Y. Alors qu'il reste peu de temps avant l'ouverture et que la participation de A a été médiatisée au niveau national et international, les organisateurs de l'événement ont décidé d'engager un jeune ténor européen récemment devenu très populaire, résiliant ainsi le contrat conclut avec A. Ce dernier pourra donc demander des dommages et intérêts non seulement pour le préjudice économique que suppose la non obtention de la rémunération convenue pour sa prestation et pour les dépenses encourues en vue de l'exécution, mais aussi pour les dommages causés à sa réputation pour avoir été remplacé par un autre artiste, ce qui a été annoncé au niveau international.


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