PRINCIPES OHADAC RELATIFS AUX CONTRATS DU COMMERCE INTERNATIONAL

Article 7.1.1

Définition d'inexécution

L'inexécution consiste pour une partie à ne pas exécuter, pour quelque cause que ce soit, toutes les obligations contractuelles auxquelles elle s'est contractuellement engagée.

1. Caractère unitaire du concept d'inexécution

Aux fins des Principes OHADAC, le présent article définit le concept d'inexécution au regard de deux caractéristiques ou éléments fondamentaux : le caractère unitaire et objectif. Conformément au présent article, l'inexécution résulte de tout défaut d'exécution par l'une des parties des obligations contractuelles qui lui incombent, qu'il s'agisse d'une obligation principale ou de tout autre engagement accessoire, tant si l'inexécution est définitive que si elle consiste en un retard, ou encore si la prestation a été exécutée de façon défectueuse ou non conforme. Ce concept, qui englobe toutes les hypothèses d'inexécution, correspond à la tradition anglo-américaine, selon laquelle l'inexécution (breach of contract) est une catégorie unique.

Les codes des systèmes caribéens de tradition romano-germanique ne contiennent pas de définition légale de l'inexécution. Toutefois, la jurisprudence l'a construite au regard des règles qui définissent l'exécution ou à partir des différents cas d'inexécution (retard du débiteur, prestation défectueuse, etc.) ainsi que des règles qui régissent les droits du créancier face à l'inexécution (arrêt de la Cour Suprême de Justice de Colombie, Chambre civile, 4 juillet 2002). Cependant, dans ces systèmes, les règles spécifiques relatives à la garantie des vices en matière de vente font obstacle à l'adoption d'un concept de caractère unitaire.

À part la CVIM, qui constitue la seule exception de par ses articles 45 et 61 en énonçant seulement un concept implicite d'inexécution, les autres textes internationaux d'harmonisation du droit des contrats contiennent un critère englobant de type anglais. Ainsi les articles 7.1.1 PU, 1:301 (4) PECL, III-1:101(3) DCFR et 87 CESL concentrent, dans la catégorie juridique de l'inexécution, tous les cas où l'un quelconque des co-contractants ne se conforme pas à ses engagements, étant observé que la technique législative de tous ces textes tend à énumérer les différents cas, après avoir énoncé la clause générale relative à l'inexécution. Cette solution a été adoptée par les Principes OHADAC et, à la différence des définitions des textes uniformes, il a été considéré plus adéquat de ne pas mentionner les types d'inexécution, préférant une construction générale plutôt que casuistique, afin qu'elle puisse s'appliquer à tout type de contrats.

Le choix du concept unique n'est pas purement théorique ou esthétique, mais se fonde sur son efficacité avérée qui permet l'élaboration d'un cadre, lui aussi cohérent, d'actions (remedies) en matière de responsabilité contractuelle et qui sont ouvertes pour toute inexécution, quel que soit le type de contrat, hormis les exceptions mentionnées dans la présente section (articles 7.1.3 et 7.1.8 des présents Principes).

La non-exécution de l'obligation (inexécution totale et définitive) est le premier cas d'inexécution contenu dans l'article 7.1.1.

Exemple 1 : L'entreprise A de consulting informatique située dans le pays X, s'est engagée à livrer à l'entreprise pharmaceutique B située dans le pays Y, un logiciel créé sur mesure, pour le 9 juillet. Mi-juin, le logiciel est déjà créé, mais A décide de le vendre à C, une entreprise pharmaceutique concurrente qui lui en a offert un prix plus élevé.

Le second type d'inexécution est l'exécution tardive ou hors délai de l'obligation. Les systèmes de tradition romano-germanique considèrent l'exécution tardive comme une institution spécifique, vu que le simple retard n'entraine pas en soi la responsabilité du débiteur. En effet, l'« action pour retard d'exécution » n'est précise (article 1.608 du code civil colombien : article 1.084 du code civil costaricain : article 295 du code civil cubain : article 1.139 des codes civils dominicain et français : article 1.428 du code civil guatémaltèque : article 1.355 du code civil hondurien : article 2.080 du code civil mexicain : article 1.859 du code civil nicaraguayen : article 985 du code civil panaméen : article 1.503 du code civil portoricain : article 999 du code civil saint-lucien : article 1269 du code civil vénézuélien) que si des conditions spécifiques sont réunies, dont les principales sont la mise en demeure (interpellation formelle faite au débiteur pour qu'il exécute son obligation) et les pénalités de retard.

Cette rigidité des systèmes juridiques de tradition romaniste est assouplie, dans de nombreux cas, par le jeu des exceptions légales ou jurisprudentielles par la seule exigence d'une mise en demeure ou interpellatio. En outre, pour les obligations commerciales, certains codes de commerce ne prévoient pas de mise en demeure (p. ex. article 418 du code de commerce costaricain : article 677 du code de commerce guatémaltèque : article 232 du code de commerce panaméen : article 94 du code de commerce portoricain). Cela permet de rapprocher les solutions à orientation romano-germanique à celles mises en œuvre dans les systèmes anglo-américains ou dans les textes internationaux d'harmonisation du droit des contrats, beaucoup plus réceptifs aux besoins du commerce international. En effet, pour permettre l'exercice des droits et des actions prévus en cas d'inexécution, la codification internationale ne prévoit pas d'acte formel de constitution pour retard d'exécution du débiteur [articles 45 à 52 et 61 à 65 CVIM : article 7.1.1 PU : article 1:301 (4) PECL : article 1:101 (3) DCFR].

Dans la même ligne que les textes internationaux, le système des Principes OHADAC considère que le retard du débiteur dans l'exécution de son obligation constitue une forme d'inexécution et entraine sa responsabilité contractuelle, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une notification ou à une mise en demeure pour le paiement.

Ce type d'inexécution présuppose que la prestation soit possible et que l'exécution soit encore satisfaisante pour le créancier : si l'obligation est devenue définitivement impossible ou ne satisfait plus les intérêts du créancier, la situation ne sera plus celle d'un retard, mais celle d'une inexécution définitive et absolue, telle qu'indiquée ci-dessus, avec des effets juridiques différents. Il en sera ainsi, dans tous les cas où l'inexécution de l'obligation est soumise à un délai essentiel. Dans cette hypothèse, il s'agit d'une inexécution fondamentale équivalente au fundamental breach anglo-saxon [arrêt de la Cour Suprême des Bahamas dans l'affaire Canadian Imperial Bank of Commerce c/Ownes of MV “New Ligth” (1997), N. 1217 de 1994 (Carilaw BS 1997 SC 87)].

Exemple 2 : Les faits au départ sont les mêmes que dans l'exemple 1, mais ici l'entreprise de consulting informatique ne respecte pas son obligation de livraison le 9 juillet, au motif que les travaux pour trouver la solution aux problèmes techniques se sont avérés plus ardus que prévu. Toutefois, la remise est toujours possible, bien qu'elle se fasse un mois plus tard, et l'entreprise pharmaceutique B est toujours intéressée par le logiciel. Il s'agit d'un cas d'exécution tardive de la prestation.

En troisième lieu, l'exécution anticipée de l'obligation constitue une forme d'inexécution dès lors que le délai avait été convenu au profit du créancier ou au profit des deux parties au contrat. Les Principes OHADAC admettent l'exécution anticipée à condition qu'elle ne porte pas préjudice au créancier et qu'elle ne porte pas atteinte à ses intérêts légitimes, dans ces derniers cas l'exécution anticipée constituerait une inexécution (article 6.1.3).

En quatrième lieu, l'exécution défectueuse est considérée comme une inexécution. Cette dénomination recouvre un large éventail d'hypothèses où la prestation réalisée par le débiteur ne répond pas aux engagements du contrat. Alors que les codes de tradition espagnole et française visent uniquement le défaut de désignation de la prestation et de son exécution intégrale (exécution partielle régie par les articles 6.1.5 des présents Principes), et régissent un régime spécial des garanties dans les contrats de vente, les Principes OHADAC suivent la ligne posée par les systèmes anglo-saxons et les textes internationaux de référence, en unifiant toutes les hypothèses de prestation défaillance, qu'elle porte sur la qualité, la quantité ou sa fonctionnalité, y compris également l'aliud pro alio.

Exemple 3 : Reprenant les faits exposés dans l'exemple 1, ici, l'entreprise A livre le logiciel le 9 juillet tel que cela avait été convenu, mais une fois le système mis en place sur les machines de l'entreprise pharmaceutique B, le système n'apporte pas le rendement qui avait été convenu au contrat.

Exemple 4 : L'entreprise A de transport achète à l'entreprise B des réfrigérateurs de haute puissance pour le transport de poisson surgelé. Toutefois, après la livraison, il s'avère que les réfrigérateurs ne possèdent pas les caractéristiques qui avaient été annoncées dans la publicité et qui avaient précisément motivé l'achat.

Exemple 5 : L'entreprise de construction A, située dans le pays X, construit pour un club de football du pays Y la toiture de la tribune du stade. Après la réception des travaux, suite aux premières pluies, la toiture présente des infiltrations.

Enfin, le défaut de collaboration de l'une quelconque des parties, qui nuira à la pleine efficacité du contrat, est considéré également comme une inexécution. Sont incluses ici, au sens large, les inexécutions inhérentes au dénommé « devoir de collaboration » qui, dans certains contrats (comme par exemple, ceux relatifs aux travaux de construction) sont très importants. Les systèmes de tradition hispano-française se réfèrent à ces cas sous le terme générique de mora credendi, et parmi eux se trouvent deux modèles différents de traitement. Le premier modèle se trouve dans les systèmes qui manquent de discipline générale dans le traitement du retard du créancier, mais qui multiplient les applications, de façon fragmentaire, des principes sur lesquels se fondent cette institution (articles 1.257 à 1.264 des codes civils français et dominicain : article 1.044 du code civil haïtien : article 1.351 du code civil hondurien : article 1.130 du code civil portoricain : article 2.098 du code civil mexicain : article 2.057 du code civil nicaraguayen). Le second modèle se trouve dans les systèmes qui contiennent la règle spécifique de la mora creditoris (articles 252 et s. du code civil cubain : article 1.429 du code civil guatémaltèque : articles 695 et s. du code de commerce hondurien : articles 58 et s. des codes civils néerlandais et surinamais).

Pour leur part, les systèmes de common law, du fait de l'unité de leur concept d'inexécution, méconnaissent la mora creditoris en tant qu'institution juridique autonome, le créancier étant responsable, de la même manière que le débiteur, pour breach of contract. Cependant, il existe tout de même une référence dans ces systèmes au devoir de collaboration du créancier (article 37.1 du Sale of Goods Act anglais : article 38.1 du Sale of Goods Act des Bahamas, de Montserrat, d'Antigua-et-Barbuda et de Trinité-et-Tobago : article 39.1 du Sale of Goods Act du Belize et article 37.1 du Sale of Goods Act de la Jamaïque), comme condition de l'institution romaniste de la mora credendi [Seubert Excavators Inc c/Eucon Corp (1994), 871 P.2d 826, 831 Idaho], et également une référence, comme forme d'inexécution, à l'offre réelle d'exécution du créancier suivie de sa rétractation sans justification [Lea c/Exelby (1608), 78 English Reports (ER) 1112 : Ball c/Peake (1660), 82 ER 941].

Les PU ne consacrent pas non plus d'article à la règle de la mora creditoris, même si ses effets sont repérables dans les dispositions de l'article 7.1.2. (interférence de l'autre partie), correspondant au devoir de collaboration contenu dans les articles 1:202 PECL et III-1:104 DCFR.

Exemple 6 : Reprenant les faits de l'exemple 1, selon les termes du contrat, l'entreprise pharmaceutique B devait fournir à l'entreprise de consulting A des informations précises qui s'avéraient absolument nécessaires pour l'élaboration du logiciel sur mesure. Toutefois, l'entreprise B, craignant de divulguer des informations stratégiques importantes, évite de fournir à l'entreprise A certaines données.

2. Caractère objectif du concept d'inexécution

Outre son caractère unitaire, le concept d'inexécution dans les Principes OHADAC revêt un caractère objectif ou neutre. Par conséquent, et conformément à l'article 7.1.8 des Principes OHADAC, l'inexécution est avérée quelle que soit la cause pour laquelle le débiteur n'a pas exécuté l'obligation à laquelle il s'est engagé contractuellement, et ce, indépendamment du fait que l'inexécution soit ou non justifiée. Si la force majeure rend inopérantes certaines actions en responsabilité contractuelle, elle constitue toutefois un cas d'inexécution car il a été véritablement porté atteinte au droit du créancier, même si le préjudice se justifie par une cause.

Exemple : L'entreprise A a acheté, dans le but d'y exploiter un hôtel, un immeuble d'appartements selon un emplacement bien spécifique sur les plans d'architecture. Ainsi, la propriété acquise se trouvait placée à l'extrême ouest de tous les autres bâtiments à construire dans le projet de complexe résidentiel, et bénéficiait d'une vue sur mer sans aucun immeuble en face. L'entreprise B, venderesse, a dû modifier lors de la construction des immeubles le projet initial et le permis de construire, suite à l'obligation qui lui a été faite par l'autorité administrative d'intégrer une zone verte. Par conséquent, le complexe résidentiel a été réparti de façon différente et le nombre de bâtiments a été modifié. De ce fait, la propriété vendue ne se situait plus à l'endroit prévu mais plus à l'est avec un immeuble devant qui lui cachait partiellement la vue dont il bénéficiait auparavant. Dans ce cas, il existe une inexécution de la part de la venderesse, bien qu'elle soit couverte par une cause de justification conformément à l'article 7.1.8 des Principes OHADAC. Par conséquent, l'entreprise A ne pourra pas prétendre à l'indemnisation du préjudice qu'elle subit en se fondant sur l'inexécution. Toutefois, l'entreprise B est responsable contractuellement et l'entreprise A pourra user de son droit à mettre fin au contrat, sauf si la partie qui n'a pas exécuté lui offre un commodum raepresentationis (par exemple, la remise d'un autre bâtiment, situé à un autre emplacement, mais présentant des caractéristiques similaires à celles requises dans le contrat initial) et si l'entreprise A l'accepte.

Les systèmes français ou espagnol ne contiennent pas techniquement de concept subjectif de l'inexécution, car seule la faute est requise pour l'action en indemnisation (commentaire sous l'article 7.4.1 des présents Principes). Cependant, le poids de la tradition a placé la faute au centre de l'inexécution, déplaçant les hypothèses d'absence de faute dans la doctrine des risques (commentaire sous l'article 7.3.1 des Principes OHADAC). Au contraire, la conception objectiviste est classique dans le système de common law, où la notion d'inexécution est construite en marge de la faute du débiteur, dans la mesure où le contractant n'est pas lié en fonction d'une promesse future, mais au regard d'un résultat. Ceci est également la ligne suivie par les codes néerlandais et surinamais.

Dans le droit harmonisé, la tendance objective l'a aussi emporté. Ainsi, dans les articles 45 et 61 CVIM, l'inexécution se détermine indépendamment de l'existence de la faute du contractant défaillant ou de l'existence de l'une des « causes d'exonération », ainsi désignées et prévues par l'article 79, et dont la survenance n'exclut pas la responsabilité contractuelle, mais réduit simplement l'éventail des actions en cas d'inexécution. Les PECL et les DCFR définissent, avec davantage de clarté, l'inexécution dans leurs articles respectifs 1:301 (4) et III-1:101 (3), et de façon neutre, en prévoyant dans les 8:108 PECL et III-3:104 DCFR ce qui, avec une bonne technique, est dénommé « excuse due to an impediment » (exonération pour cause d'empêchement). Par la même, ils disposent qu'il existe bien une inexécution et que le débiteur n'en est pas exonéré, mais vu qu'elle est justifiée, le créditeur ne pourra pas prétendre ni à l'exécution, ni à l'action en indemnisation [article 8:101 (2) PECL : article III-3:101 (2) DCFR]. Des dispositions similaires se trouvent dans les PU (articles 7.1.1 et 7.1.7 relatifs à la force majeure). Et, de même, à l'article 87 CESL l'inexécution est définie comme étant « tout défaut d'exécution de l'obligation en question, qu'elle soit ou non justifiée », les causes d'exonération étant régies par l'article 88 CESL.


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