PRINCIPES OHADAC RELATIFS AUX CONTRATS DU COMMERCE INTERNATIONAL

Article 5.2.1

Stipulation pour autrui

1. Les parties au contrat (le « stipulant » et le « promettant ») peuvent stipuler au profit d'un tiers (le « bénéficiaire ») qui acquiert, sauf stipulation contraire, le droit d'en exiger l'exécution auprès du promettant.

2. L'existence et le contenu du droit que le bénéficiaire peut exercer à l'encontre du promettant sont déterminés par l'accord des parties.

1. Le principe de la relativité contractuelle et le contrat au profit d'un tiers dans les systèmes de l'OHADAC

Le contrat au profit de tiers pose, fondamentalement, le droit de conférer à un tiers un droit émanant d'une relation contractuelle établie entre le stipulant (la partie qui a un intérêt direct sur ce droit) et le promettant (partie qui est engagée à l'égard du tiers bénéficiaire). La relation juridique entre le stipulant et le promettant est désignée « rapport de couverture ». La relation entre le stipulant et le tiers bénéficiaire est désignée « rapport de valeur ».

La stipulation pour autrui, dans les contrats internationaux, présente l'utilité pratique d'être un instrument de simplification contractuelle et d'économie juridique. En ce sens, les stipulations pour autrui sont adaptées aux contrats liés entre eux ou aux contrats dans lesquels il existe une pluralité d'intervenants (chaîne de contrats, sous-traitance ou contrats conclus dans le cadre de groupes de sociétés).

Exemple 1 : La compagnie d'assurance A conclut un contrat d'assurance avec l'entreprise de transport B par lequel elle couvre tant les risques de B que ceux des sous-traitants dans le cadre de certains transports. Si une entreprise C, sous-traitante de B, prend en charge un transport, elle sera automatiquement bénéficiaire du contrat d'assurances souscrit entre A et B.

Le contrat au profit du tiers peut, entre autres, fonctionner comme un instrument de financement et permettre au stipulant, débiteur du tiers et à la fois créancier du promettant, de parvenir à un accord avec le promettant pour qu'il assume la dette avec le tiers. De la sorte, par un seul contrat juridique il pourra à la fois honorer sa dette avec le tiers et compenser sa créance avec le promettant.

Exemple 2 : L'entreprise A acquiert du distributeur B un lot de marchandises, stipulant dans le contrat que le paiement devra se faire entre les mains de l'entreprise fabricante C (qui est, à son tour, créancière de B). Ce contrat permet au distributeur B d'être financé pour le paiement de sa dette par C.

Il est également relativement fréquent dans la pratique de conclure des contrats au profit de tiers dans l'objectif clair de garantir une créance que le tiers bénéficiaire pourra apporter face au stipulant débiteur [p. ex. assurances de crédits commerciaux qui couvrent le risque de perte en cas d'une éventuelle insolvabilité des clients de sorte que, par exemple, l'assuré (stipulant) conclut un contrat de factoring et désigne comme bénéficiaire des indemnités la société de factoring].

Le principe (civiliste) de la relativité contractuelle et la doctrine (de common law) du privity of contract partagent une même signification : d'un côté, ils considèrent que le tiers ne peut pas acquérir les droits et exercer les actions découlant du contrat dont il n'est pas partie : d'autre part, ils interdisent de faire peser sur une personne des obligations auxquelles elle n'a pas elle-même consenti. Toutefois, cette limite à la portée subjective des contrats a subi une évolution différente dans les différents systèmes juridiques, ce qui constitué dans le droit européen un important point de divergence entre les systèmes romano-germaniques (et certains de common law) et le droit anglais. Alors que les premiers admettent dans leur législation solidement établie les contrats au profit de tiers, le droit anglais continue de résister jusque tout récemment [concrètement jusqu'au Contracts (Rights of Third Parties) Act de 1999], par lequel il admet expressément pour la première fois la flexibilisation de la privity, en permettant au tiers d'invoquer des droits qui lui ont été conférés dans des contrats auxquels il n'était pas partie. L'admission généralisée des contrats en faveur de tiers a été corroborée par son insertion dans les différents textes d'harmonisation des contrats (article 5.2.1 PU : article 6:109 PECL : articles II-9:301 à 9:303 DCFR).

Cette tendance généralisée à admettre la stipulation au profit d'un tiers est également confirmée dans les codes civils des pays de l'OHADAC, qui régissent cette institution en tant qu'exception au principe de la relativité contractuelle. Dans certains cas, comme dans le code civil vénézuélien, elle est admise de façon nuancée, sous la condition qu'il ait « un intérêt personnel, matériel ou moral, à l'exécution de l'obligation » (article 1.164). Dans d'autres cas, comme le code civil haïtien, il n'existe pas de règle générale relative au contrat au profit d'un tiers mais il existe des dispositions concrètes qui laissent percevoir cette possibilité, comme c'est le cas du contrat de louage auquel se réfère l'article 1.737. Il n'existe pas de règle expresse sur la stipulation au profit d'un tiers dans le cadre de la Commonwealth caribéenne qui, sous l'influence directe de la common law anglaise, demeurerait réticente à faire exception au régime de la privity des contrats. Toutefois, dans le silence des textes, il ne faut pas interpréter de manière rigide mais dans le contexte même de l'évolution du droit des contrats anglo-saxons. En ce sens, tout porte à croire que la stipulation au profit du tiers dans les contrats entrera aussi dans ces législations.

2. Identification d'un contrat au profit d'un tiers

La première difficulté que présente le contrat au profit d'un tiers est son identification, c'est-à-dire, la détermination qu'il s'agit d'un contrat donnant droit à un tiers d'exiger l'exécution de l'obligation stipulée à son profit. Dans tous les cas où les parties auront expressément et clairement exprimé leur volonté, il n'y a aucun problème particulier. Les difficultés apparaissent dès lors que la volonté des parties n'a pas été manifestée. Il convient de se demander si les assurances de responsabilité civile, les garanties du fabriquant sur la qualité de ses produits, le contrat entre une agence de voyage et une compagnie aérienne pour le transport de ses clients ou les accords sur les aliments à verser aux enfants qui habitent chez l'un de leur parent, contiennent des stipulations au bénéfice d'un tiers.

La qualification de ces situations dépendra du critère retenu par chaque système juridique. Il convient de distinguer, dans ce cadre, deux grands modèles : celui qui part exclusivement de la volonté des parties et celui qui introduit, en outre, des paramètres objectifs pour identifier les stipulations au profit de tiers.

Conformément au premier modèle, la volonté des parties est le seul critère qui permet de générer la véritable stipulation au profit du tiers. C'est le cas dans le Contracts Act (Rights of Third Parties) de 1999. Les travaux menés dans la Law Commission ont été établis dans deux hypothèses (dual intention test), et sont finalement repris dans la section 1 (1) et (2) du Contracts Act (Rights of Third Parties) de 1999, dans lesquelles l'exercice de l'action par le tiers est possible. Le premier, dès lors que ce droit lui aura été expressément conféré dans le contrat. Le second, dès lors que le contrat lui confèrera un avantage (présomption iuris tantum) sauf si, de l'interprétation du contrat (on the proper construction of the contract), il résulte que les parties ne souhaitaient pas conférer un droit au tiers. Par conséquent, ce qui est déterminant pour identifier un contrat ayant stipulé au profit d'un tiers est qu'il existe bien, d'une manière ou d'une autre, une volonté des parties de conférer un droit au tiers dont il pourra se prévaloir (right to sue), et non seulement que du contrat découle ce droit pour le tiers. Dans le même sens, l'article 6:253 des codes civils néerlandais et surinamais pose une règle expresse d'attribution du droit, indiquant que le tiers peut demander une prestation si le contrat contient une stipulation à son profit.

Conformément au second modèle, outre l'autonomie de la volonté expresse des parties, l'attribution du droit du tiers découle également de circonstances objectives, telles que les « circonstances du contrat », la « finalité » du contrat ou les usages. C'est le modèle suivi par le droit français bien que cela ne ressorte pas directement de ses dispositions. Dans la pratique, une série de contrat-types comportent de véritables stipulations au profit de tiers (p. ex. les contrats qui comportent des obligations de conseil ou de sécurité ou de surveillance, les obligations du transporteur en matière de sécurité de voyageurs ou celles du vendeur professionnel face à l'acheteur non spécialiste). Toutefois, l'avant-projet de réforme du droit français des obligations de 2013 (article 114) parait s'en tenir uniquement à la volonté des parties comme source du droit du tiers.

Dans le cadre de l'OHADAC, la tendance majoritaire des codes civils vise l'efficacité de la stipulation au profit du tiers à partir de la volonté des parties, et de cette stipulation découle le droit pour le tiers d'en exiger l'exécution (article 1.506 du code civil colombien : article 316 du code civil cubain : article 1.549 du code civil hondurien : article 1.869 du code civil mexicain : article 1.108 du code civil panaméen : article 1.164 du code civil vénézuélien). L'article 741 du code de commerce hondurien part de la présomption, avec la possibilité d'un accord contraire, que toute stipulation dans un contrat confère au tiers le droit d'exiger du promettant l'exécution de la dite obligation. Une nuance différente est prévue dans les articles 1.122 des codes civils français et dominicain et 1.531 du code civil guatémaltèque, qui établissent une présomption d'efficacité du contrat entre les parties « sauf si le contraire est expressément indiqué ou découle de la nature même du contrat » ou « dès lors qu'il résulte de l'objectif poursuivi par le contrat ». L'article 963 du code civil saint-lucien va dans le même sens. Toutes ces dispositions augmentent, par conséquent, les possibilités d'identifier un contrat au profit d'un tiers en se fondant sur les circonstances objectives du contrat, même si la volonté des parties au contrat n'est pas en ce sens clairement identifiable.

La règle fixée par les Principes OHADAC pour identifier et qualifier un contrat comme étant une situation au profit du tiers suit le premier des deux modèles exposés. En effet, l'identification repose sur la volonté des parties, qui est le critère le plus respectueux du régime d'interprétation contractuelle des modèles inspirés du droit anglais. Mais, en outre, il évite l'inévitable confrontation des règles nationales qui déboucherait pour le choix du second modèle, vu que dans ces cas la qualification du contrat nécessiterait d'analyser la finalité ou la nature du contrat dans chaque droit national. De même, l'accord entre les parties comme source exclusive du droit conféré au tiers exclut l'application des règles ici exposées dans les cas où le tiers pourra exercer une action directe à l'encontre de l'une des parties au contrat et basée sur une obligation d'origine légale. Dans la majorité de ces cas, une qualification extracontractuelle s'avèrera nécessaire. Par exemple, ne sont pas considérés comme des contrats au profit de tiers, les réclamations que les victimes peuvent déposer, sur la base d'une action directe, à l'encontre de l'assureur du responsable du dommage.

L'article objet de ce commentaire indique également expressément que la stipulation d'un droit au profit de tiers suppose de lui reconnaitre le droit à demander l'exécution au promettant. De la sorte, il est présumé que tout contrat qui contient une stipulation au profit d'un tiers, lui confère le droit de réclamer ce droit auprès du promettant. Une telle indication, comme déjà mentionné, figure expressément dans les codes civils mexicain et vénézuélien, et est intéressante dans la mesure où la règle en elle-même éclaire sur le régime distinct de ce type de contrats par rapport à la règle générale de la privity. Cela peut s'avérer particulièrement significatif et important pour l'environnement de la Commonwealth caribéenne dès lors qu'il s'agit de faire figurer cette institution dans sa réglementation. De ce fait, le respect de l'autonomie de la volonté des parties et la soumission aux strictes règles d'interprétation du droit anglo-saxon conseillerait cette formulation expresse dans le contrat afin d'éviter tout doute quant à la véritable portée de la formulation du droit au profit du tiers.

Le paragraphe deux du présent article rappelle le caractère contraignant de l'avantage conféré par le contrat et sa rédaction est la même que celle retenue pour l'article 5.2.1 PU. Il s'avère évident que le droit du tiers dépend absolument de ce que les parties ont convenu entre elles. Donc de l'accord des parties dépend à la fois la reconnaissance du droit du tiers ainsi que la possibilité et la portée de l'action reconnue à celui-ci, tout en permettant d'en fixer les conditions et les limites à l'acquisition du droit et à son exercice.

3. Effets post mortem des stipulations au profit des tiers

Une stipulation au profit d'un tiers génère une diversité de relations entre les différentes parties impliquées. Certaines d'entre elles (Le rapport de couverture et le rapport entre promettant et bénéficiaire) se fondent directement sur le contrat lui-même alors que le rapport entre le stipulant et le bénéficiaire, en tant que cause du contrat, est en réalité une relation extérieure. Toutefois, cette autonomie du contrat relative à la relation sous-jacente n'est pas confirmée dans tous les cas et n'est pas non plus défendue avec la même intensité dans tous les systèmes. L'exemple le plus clair est le dépôt bancaire avec désignation de bénéficiaire en cas de mort du titulaire du compte.

Les Principes OHADAC n'établissent aucune règle spécifique sur les effets post mortem des stipulations au profit des tiers. Cela s'explique du fait de la divergence claire qui existe entre les systèmes romano-germaniques et de common law, voire même entre les premiers entre eux. Le reste des textes d'harmonisation du droit des contrats n'en établissent non plus aucune (PU, DCFR et PECL). L'absence de règle sur ce point ne correspond pas à une lacune, ni ne laisse un vide juridique sur un aspect essentiel des contrats au profit de tiers. La prise en compte spécifique des régimes successoraux est essentiellement liée à la valeur stipulant-tiers et, par conséquent, il n'est pas nécessaire d'en énoncer les règles en matière de contrat au profit de tiers. D'un point de vue abstrait, le contrat au profit d'un tiers conserverait toute sa validité et son efficacité, alors que l'attribution du droit qui est conféré (et qui appartient au rapport de valeur) pourrait être postérieurement attaquée ou annulée par le stipulant.

Quant au principe d'économie juridique, il est proposé dans ce type de cas d'inclure au contrat des clauses spécifiques permettant de respecter les solutions impératives du rapport de valeur, soit au travers de règles spécifiques de révocabilité de la stipulation, soit au travers de l'insertion au contrat d'un régime propre aux exceptions opposables par le promettant face à l'action en exécution engagée par le tiers bénéficiaire. Ces deux aspects seront traités dans les dispositions correspondantes des présents Principes.


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